Maladie professionnelle : la Cour de cassation précise la charge de la preuve
- avocat86
- 21 oct.
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Cour de cassation, chambre sociale, 10 septembre 2025, n° 23-19.841
Dans un arrêt du 10 septembre 2025, la Cour de cassation rappelle que l’inopposabilité à l’employeur d’une décision de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) reconnaissant le caractère professionnel d’une maladie ne prive pas le salarié de la possibilité d’en invoquer l’origine devant le juge prud’homal.
Encore faut-il que le lien entre la pathologie et le travail soit démontré
Cette décision éclaire le régime probatoire applicable aux contestations relatives à la maladie professionnelle et aux indemnités dues en cas d’inaptitude d’origine professionnelle.
Les faits
M. P. avait été engagé en 2004 par la société Sylvamo France (anciennement International Paper) en qualité de conditionneur, avant d’occuper un poste de polyvalent assistant technique.
Il a été placé en arrêt de travail continu de février 2016 à janvier 2019. Au cours de cette période, il a sollicité la reconnaissance du caractère professionnel d’une affection allergique liée à l’exposition aux poussières de papier.
Le 1er février 2019, le médecin du travail l’a déclaré inapte à son poste, avec contre-indication à l’exposition aux poussières de papier et aux travaux de force sur la main droite. La CPAM a reconnu la maladie professionnelle en mai 2019, fixant le point de départ à mars 2017.
Cependant, la commission de recours amiable, saisie par l’employeur, a déclaré cette reconnaissance inopposable à la société.
Le salarié a alors saisi le conseil de prud’hommes, estimant que son inaptitude devait être qualifiée de professionnelle et qu’il devait, à ce titre, bénéficier de l’indemnité spéciale de licenciement et de l’indemnité compensatrice de préavis prévues par les articles L. 1226-10 et L. 1226-14 du Code du travail.
La décision de la Cour de cassation
La cour d’appel de Limoges avait rejeté les demandes du salarié, considérant qu’il ne démontrait pas que sa pathologie correspondait à une maladie professionnelle figurant au tableau n° 66 et qu’elle n’était pas directement causée par son travail habituel.
La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle rappelle que les règles protectrices des salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent lorsque l’inaptitude a, au moins partiellement, pour origine cette affection, et que l’employeur en avait connaissance au moment du licenciement.
Elle précise également que l’inopposabilité à l’employeur de la décision de la CPAM ne fait pas obstacle à ce que le salarié invoque l’origine professionnelle de sa maladie devant le juge prud’homal. Toutefois, il lui appartient d’en apporter la preuve, la reconnaissance par la CPAM ne constituant pas, à elle seule, une preuve suffisante.
En l’espèce, la Cour constate que le salarié avait été exposé à des poussières de papier dans le cadre de son activité, mais que les tests allergologiques avaient été réalisés après trois années d’arrêt de travail, alors qu’il n’était plus exposé au risque. Aucun élément médical antérieur ne démontrait la survenue de symptômes avant son arrêt de travail de 2016.
Elle en déduit que le lien entre la pathologie et le travail n’était pas établi et que la cour d’appel n’avait pas inversé la charge de la preuve.
Ce que dit le droit
Article L. 1226-10 du Code du travail : en cas d’inaptitude d’origine professionnelle, l’employeur doit proposer un reclassement et, en cas d’impossibilité, verser une indemnité spéciale de licenciement.
Article L. 1226-14 : le salarié a également droit à une indemnité compensatrice de préavis, même en cas d’inaptitude.
Article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale : une maladie peut être reconnue d’origine professionnelle même si toutes les conditions du tableau ne sont pas réunies, dès lors qu’il est établi qu’elle a été directement causée par le travail.
La Cour rappelle ici que la prise en charge par la CPAM ne vaut pas preuve absolue de l’origine professionnelle : le juge doit former sa conviction à partir de l’ensemble des éléments du dossier.
À retenir
Pour le salarié :
La reconnaissance d’une maladie professionnelle par la CPAM ne suffit pas toujours devant le juge.
Il faut établir un lien médical direct entre la pathologie et les conditions de travail.
Pour l’employeur :
L’inopposabilité de la décision de la CPAM ne le protège pas automatiquement d’une demande prud’homale.
Il doit rester en mesure de justifier de l’absence de lien causal et de documenter les conditions de travail réelles (études de risques, mesures d’exposition, suivi médical).
En résumé
L’inopposabilité de la décision de la CPAM ne prive pas le salarié de la possibilité de prouver l’origine professionnelle de sa maladie devant le juge.
Encore faut-il qu’il apporte des éléments suffisants pour établir ce lien.



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